C'était pour clore les soirées d'hiver que, vers la fin de mars 1831, la comtesse de Givry avait réuni une brillante assemblée dans le somptueux appartement qu'elle occupait sur la place Vendôme. L'élite du monde fashionable s'y trouvait ; on n'y rencontrait que dandys et femmes élégantes ; les salons resplendissaient de mille lumières ; les décorations étaient aussi gracieuses que riches, des arbustes, des fleurs exhalaient leurs parfums ; il régnait enfin une atmosphère de fête dont, à l'abord, on était ébloui, et qui, pendant quelques instants, paralysait toute réflexion. Les femmes étaient parées avec un goût si exquis, il y avait tant d'harmonie entre l'ensemble de leurs traits et leurs toilettes, que toutes paraissaient jolies, et pour compléter l'illusion, les riens charmants que débitait tout ce monde auraient fait supposer, à celui qui les entendait pour la première fois, que la sottise, si commune partout, n'avait pu obtenir l'accès du salon de la comtesse.
Un jeune homme se tenait dans l'embrasure d'une croisée. Sa figure, d'une beauté gracieuse et naïve, rappelait celles du peintre Angelico di Fiesole, ou de Pietro Perugino, et, comme eux, il était né sous le ciel qui inspira Virgile et le Tasse. Il examinait avec attention toutes les danseuses et ne paraissait satisfait d'aucune. Les femmes les plus belles passaient devant lui et sa physionomie restait muette. Il semblait en chercher une qui eût autre chose qu'une robe de chez Mme Camille, une coiffure d'Édouard, et d'autres paroles que ces phrases, à l'empreinte de la mode, que toutes les bouches répètent. On le vit assez longtemps promener sur toutes ces figures pâles, aux traits fins et à l'expression monotone, des regards où se peignaient l'espoir et l'anxiété, puis se laisser aller sur le dos de sa chaise, la tête penchée contre le volet, dans l'attitude d'un homme fatigué et n'espérant plus rencontrer ce qu'il désire.
Dans ces réunions nombreuses, où chacun est un spectacle pour tous, les yeux sont constamment occupés, et c'est avec peine que l'âme peut démêler les impressions qu'elle reçoit ; la pensée, comme la respiration, y est étouffée.