M. et Mme Gargilier étaient seuls dans leur salon ; leurs enfants, Simplicie et Innocent, venaient de les quitter pour aller se coucher.
M. Gargilier avait l'air impatienté ; Mme Gargilier était triste et silencieuse.
-Savez-vous, chère amie, dit enfin M. Gargilier, que j'ai presque envie de donner une leçon, cruelle peut-être, mais nécessaire, à cette petite sotte de Simplicie et à ce benêt d'Innocent ?
-Quoi ? Que voulez-vous faire ? répondit Mme Gargilier avec effroi.
-Tout bonnement contenter leur désir d'aller passer l'hiver à Paris.
-Mais vous savez, mon ami, que notre fortune ne nous permet pas cette dépense considérable ; et puis votre présence est indispensable ici pour tous vos travaux de ferme, de plantations.
-Aussi je compte bien rester ici avec vous.
-Mais. comment alors les enfants pourront-ils y aller ?
-Je les enverrai avec la bonne et fidèle Prudence ; Simplicie ira chez ma soeur, Mme Bonbeck, à laquelle je vais demander de les recevoir chez elle en lui payant la pension de Simplicie et de Prudence, car elle n'est pas assez riche pour faire cette dépense. Quant à Innocent, je l'enverrai dans une maison d'éducation dont on m'a parlé, qui est tenue très sévèrement, et qui le dégoûtera des uniformes dont il a la tête tournée.
-Mais, mon ami, votre soeur a un caractère si violent, si emporté ; elle a des idées si bizarres, que Simplicie sera très malheureuse, auprès d'elle.
-C'est précisément ce que je veux ; cela lui apprendra à aimer la vie douce et tranquille qu'elle mène près de nous, et ce sera une punition des bouderies, des pleurnicheries, des humeurs dont elle nous ennuie depuis un mois.
-Et le pauvre Innocent, quelle vie on lui fera mener dans cette pension !
-Ce sera pour le mieux. C'est lui qui pousse sa soeur à nous contraindre de les laisser aller à Paris, et il mérite d'être puni. On envoie dans cette pension les garçons indociles et incorrigibles : ils lui rendront la vie dure ; j'en serai bien aise. Quand il en aura assez, il saura bien nous l'écrire et se faire rappeler.