Ma chère Thérèse, puisque vous me permettez de ne pas vous appeler mademoiselle, apprenez une nouvelle importante dans le monde des arts, comme dit notre ami Bernard. Tiens ! ça rime ; mais ce qui n'a ni rime ni raison, c'est ce que je vais vous raconter.Figurez-vous qu'hier, après vous avoir ennuyée de ma visite, je trouvai, en rentrant chez moi, un milord anglais... Après ça, ce n'est peut-être pas un milord ; mais, pour sûr, c'est un Anglais, lequel me dit en son patois :
-Vous êtes peintre ?
-Yes, milord.
-Vous faites la figure ?
-Yes, milord.
-Et les mains ?
-Yes, milord ; les pieds aussi.
-Bon !
-Très bons !
-Oh ! je suis sûr !
-Eh bien, voulez-vous faire le portrait de moi ?
-De vous ?
-Pourquoi pas ?
Le pourquoi pas fut dit avec tant de bonhomie, que je cessai de le prendre pour un imbécile, d'autant plus que le fils d'Albion est un homme magnifique. C'est la tête d'Antinoüs sur les épaules de... sur les épaules d'un Anglais ; c'est un type grec de la meilleure époque sur le buste un peu singulièrement habillé et cravaté d'un spécimen de la fashion britannique.
-Ma foi ! lui ai-je dit, vous êtes un beau modèle, à coup sûr, et j'aimerais à faire de vous une étude à mon profit ; mais je ne peux pas faire votre portrait.
-Pourquoi donc ?
-Parce que je ne suis pas peintre de portraits.
-Oh !... Est-ce qu'en France vous payez une patente pour telle ou telle spécialité dans les arts ?
-Non ; mais le public ne nous permet guère de cumuler. Il veut savoir à quoi s'en tenir sur notre compte, quand nous sommes jeunes surtout ; et, si j'avais, moi qui vous parle et qui suis fort jeune, le malheur de faire de vous un bon portrait, j'aurais beaucoup de peine à réussir à la prochaine exposition avec autre chose que des portraits : de même que, si je ne faisais de vous qu'un portrait médiocre, on me défendrait d'en jamais essayer d'autres : on décréterait que je n'ai pas les qualités de l'emploi, et que j'ai été un présomptueux de m'y risquer.