Une étrangère, arrivée depuis trois mois à Paris, jeune, bien faite, mais pauvre et inconnue, habitait deux chambres basses au faubourg Saint-Antoine : elle s'occupait à broder, et vivait de son travail. Revenant un soir de vendre son ouvrage, elle se trouva mal en rentrant dans sa maison : on s'efforça vainement de la secourir, de la ranimer; elle expira sans avoir repris ses sens, ni laissé apercevoir aucune marque de connaissance.
Ses voisines, effrayées de ce terrible accident, remplirent sa triste demeure de cris et d'exclamations ; elles s'appelaient les unes et les autres, et se répétaient : "Christine, hélas! la pauvre Christine !".
Une bourgeoise, dont le jardin se terminait au mur de la maison d'où s'élevait ce bruit, attirée par le désir d'être utile à celles qui gémissaient si haut, fut elle-même s'informer de la cause de leurs clameurs ; on l'en instruisit. Pendant qu'on lui parlait, ses yeux se fixèrent sur une petite fille âgée de trois ou quatre ans : cette innocente créature pleurait près de la morte, l'appelait, la tirait par sa robe, et lui criait : "Ma mère, éveillez-vous ! ma mère, éveillez- vous donc !".
Le coeur de la sensible voisine s'émut à ce spectacle : elle s'avança, prit la petite dans ses bras, la caressa, essuya ses larmes. La beauté de l'enfant redoubla son attendrissement. Elle envoya chercher un homme de justice, donna de l'argent pour faire inhumer l'étrangère. Ayant rempli toutes les formalités nécessaires au dessein de se charger de la jeune orpheline, elle la prit par la main et la conduisit chez elle.
Celle dont le bon coeur éclatait par cet acte d'humanité, se nommait madame Dufresnoi ; veuve d'un marchand peu riche, elle s'était arrangée avec la famille de son mari. Contente de 3 000 livres de rentes viagères, elle venait d'abandonner à des enfants d'un premier lit, des droits assez considérables sur leur succession. Ce procédé généreux lui procura la satisfaction de voir établir convenablement les filles d'un honnête homme dont elle chérissait la mémoire.