J'étais loin de prévoir, sans doute, en composant les premiers vers de ce volume, qu'ils fussent destinés un jour à la publicité. Accoutumée dès ma plus tendre jeunesse aux travaux assidus de l'atelier, n'ayant guère d'instruction que les souvenirs qui me restaient de lectures faites sans choix et à la dérobée, comment aurais-je conçu l'idée de faire, moi aussi, un de ces livres que je dévorais avidement ? Pourtant, dès mon enfance, j'aimais de prédilection la poésie, bien que je ne connusse pas encore celle qui devait m'enchanter entre toutes. Les tragédies de Racine m'étaient familières, et souvent je me plaisais à en réciter les plus belles tirades, pour abréger les heures longues et sans cesse renaissantes du travail ; mais, quoique je sentisse et j'aimasse d'instinct ce magnifique langage des héros et des rois, j'étais bien peu capable, certes, d'en comprendre et d'en apprécier alors toute" la majestueuse beauté.
Combien aussi, à cette époque, je me doutais peu, en répétant les vers d'Athalie, d'Esther ou de Phèdre, qu'une révolution littéraire venait de s'opérer en France, que deux écoles rivales s'y disputaient le prix, et que nous avions de nouveaux poètes !
De quel étonnement, mêlé de charme, ne fus-je pas saisie quand le hasard me fit ouvrir un volume de ces méditations poétiques déjà si célèbres, et dont moi seule, peut-être, ignorais l'existence ? Il me sembla qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de compléter, en quelque sorte, mon existence intellectuelle. Ce livre chéri ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour ; mes propres pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y trouvai du plaisir.