- ... C'était le bon temps ! soupira le vieux fraudeur en vidant son verre de cidre, qu'il reposa bruyamment sur la table. En avons-nous fait des tours !
- On dirait que vous êtes contrarié de ne plus pouvoir en faire ? demanda le sous-brigadier des douanes, en riant sous cape.
Il savait bien qu'une fois sur le chapitre de ses anciennes fredaines, Beslin en avait pour longtemps, et dès lors il pouvait espérer une invitation à souper pour entendre la suite des longues histoires de fraude. À vrai dire, ce n'était pas l'invitation à souper que recherchait le douanier, c'était l'apparition toujours rare et bienvenue de mademoiselle Bonne-Marie Beslin ; celle-ci ne se montrait qu'aux heures des repas.
- Oui, certes, je le regrette ! dit avec colère le pécheur endurci, en tapant la table du poing. C'était une vie, cela ! Il y avait de tout dans cette vie-là ! Le danger de la mer, le danger de vos fusils, toujours prêts à partir sur nous ; le danger de se rompre le cou dans les falaises, avec cinquante kilos de tabac fraudé sur le dos... Il y a de quoi s'amuser, au moins ! Tandis qu'à présent je suis là, comme un vieux canot hors de service, à regarder le temps qu'il fait par la fenêtre...
- Savez-vous ce que vous devriez faire, père Beslin ? insinua le douanier en prenant la précaution de se reculer un peu sur son siège. Vous devriez entrer dans les douanes, vous nous rendriez de fameux services !...
- Pipe du diable ! s'écria l'ex-contrebandier en brandissant son poing sous le nez de son interlocuteur, qui se recula encore un peu. Si vous n'étiez pas un bon garçon, vous me paieriez cher cette plaisanterie ! Moi, vendre les nouveaux, quand j'ai été quarante ans le meilleur des anciens ? Mais, si je voulais, je vous dirais des tours dont vous ne vous doutez pas, tout gabelou que vous êtes ! Il y a des endroits où nous cachons des ballots de tabac gros comme un homme ; vous passez devant, et vous n'avez pas seulement le nez assez fin pour le sentir ! Tenez, en voilà, du tabac fraudé (il lui passa un pot de terre commune plein de tabac jusqu'au bord) ; je n'en fume jamais d'autre, vous le savez bien ! Et j'irais vendre ces bons garçons qui me l'apportent !