Il était une fois un séducteur qui cherchait de l'ouvrage. L'hiver s'était pour lui joyeusement passé en brillantes conquêtes ; mais le printemps était arrivé, et si le printemps est la saison des amours, ce n'est pas celle des séductions. M. de Lusigny était resté seul et désoeuvré à Paris ; aux premiers rayons du soleil, toutes ses heureuses victimes s'étaient envolées, emportant le trait qui les avait blessées, et il lui fallait attendre que l'été, le véritable été, fût venu pour aller les rejoindre aux eaux, ou pour les visiter dans leurs châteaux. Les correspondances étaient actives ; les petites lettres parfumées arrivaient chaque matin des provinces inquiètes ; mais que sont les joies de la correspondance pour un séducteur ? Un embarras flatteur, et voilà tout. L'ennui de ranger par ordre de dates et de couleurs (M. de Lusigny avait le tiroir des blondes et l'armoire des brunes ; il prétendait que les blondes sont en général méchantes et coquettes, tandis que les brunes, au contraire, sont bonnes et sensibles), l'ennui de ranger par ordre tous ces amoureux reproches était à peine compensé par le plaisir de les mériter. D'ailleurs, ces coeurs qui lui appartenaient, ces orgueils qu'il avait soumis, ces imaginations qu'il avait troublées, ne pouvaient plus l'intéresser. Tous les conquérants se ressemblent, le passé ne compte pas pour eux. Il leur faut chaque jour des victoires nouvelles ; ils ne savent garder leur prestige qu'à ce prix. Attacher est plus difficile que séduire ; triompher est plus facile que régner, usurper n'est rien, conserver est tout. L'empereur Napoléon lui-même nous a dévoilé la triste nécessité de ses batailles continuelles ; il serait plaisant qu'en nous donnant le secret des conquérants, il nous eût aussi donné celui des séducteurs.
En fait d'hommes à bonnes fortunes, vous ne devineriez jamais quel modèle M. de Lusigny s'était proposé. Le duc de Lauzun ? direz-vous, qui, le premier, a fait de l'insolence un moyen de plaire ; le maréchal de Richelieu ? qui professait pour les femmes tant de culte et tant de mépris ; le marquis de Létorière ? d'autant plus dangereux qu'il était sincère et qu'on pouvait l'aimer, quand on cessait de l'adorer ; le comte de *** ? célèbre séducteur de l'empire, qu'on n'ose nommer parce qu'il n'a pas encore fini de séduire ? Non, non, non.
Ce n'était aucun de ces grands maîtres : c'était un personnage beaucoup plus ancien, beaucoup plus respectable, beaucoup plus habile que tout cela, auprès duquel ces héros n'étaient que des ingénus ; un professeur qui a fait de la séduction un art immortel, une étude psychologique des plus profondes ; ceux-là séduisaient par instinct, mais lui séduisait par principe. Et il a laissé le plus beau code de séduction que la perfidie humaine puisse imaginer.