Il y avait dans ce roman...
- Mais ce n'est pas un roman.
- Dans cet ouvrage...
- Mais ce n'est pas un ouvrage.
- Dans ce livre...
- C'est encore moins un livre.
- Dans ces pages enfin... il y avait un chapitre assez piquant intitulé :
LE CONSEIL DES MINISTRES
On a dit à l'auteur :
- Prenez garde, on fera des applications, on reconnaîtra des personnages ; ne publiez pas ce chapitre.
Et l'Auteur docile a retranché le chapitre.
Il y en avait un autre intitulé :
UN RÊVE D'AMOUR
C'était une scène d'amour assez tendre, comme doit l'être une scène de passion dans un roman.
On a dit à l'auteur :
- Il n'est pas convenable pour vous de publier un livre où la passion joue un si grand rôle ; ce chapitre n'est pas nécessaire, supprimez-le.
Et l'Auteur timide a retranché ce second chapitre.
Il y avait encore dans ces pages deux pièces de vers.
L'une était une satire.
L'autre une élégie.
On a trouvé la satire trop mordante.
On a trouvé l'élégie trop triste, trop intime.
L'Auteur les a sacrifiées... mais il est resté avec cette conviction : qu'une femme qui vit dans le monde ne doit pas écrire, puisqu'on ne lui permet de publier un livre qu'autant qu'il est parfaitement insignifiant.
Heureusement celui-ci contient une lettre de M. de Chateaubriand, - un billet de Béranger, - des vers de Lamartine ; - il a pour patron M. de Balzac : tout cela peut bien lui servir de pièces justificatives.
Chapitre 1 : Un don fatal.
Il est un malheur que personne ne plaint, un danger que personne ne craint, un fléau que personne n'évite ; ce fléau, à dire vrai, n'est contagieux que d'une manière, par l'hérédité - et encore n'est-il que d'une succession bien incertaine, - n'importe, c'est un fléau, une fatalité qui vous poursuit toujours, à toute heure de votre vie, un obstacle à toute chose - non pas un obstacle que vous rencontrez - c'est bien plus.
C'est un obstacle que vous portez avec vous, un bonheur ridicule, que les niais vous envient ; une faveur des dieux qui fait de vous un paria chez les hommes, ou - pour parler plus simplement - un don de la nature qui fait de vous un sot dans la société. Enfin ce malheur, ce danger, ce fléau, cet obstacle, ce ridicule, c'est... - Gageons que vous ne devinez pas - et cependant quand vous le saurez, vous direz : « C'est vrai. Quand on vous aura démontré les inconvénients de cet avantage, vous direz : « Je ne l'envie plus. » Ce malheur donc, c'est le malheur d'être beau.