Il fait nuit ; mais c'est une nuit indienne ruisselante d'étoiles. La mer, toute éclaboussée d'étincelles, semble rouler des braises, emmêler des rubans de feu.
Silencieux comme des fantômes, les vaisseaux de haut bord glissent rapidement, toutes voiles dehors. Ils paraissent gigantesques, dans la pénombre, avec leurs fières mâtures, leurs coques élevées, toute cette toile éployée qui met dans le ciel de larges taches sans astres.
Ces bâtiments ont une allure mystérieuse et sournoise qui n'a rien de pacifique ; les feux sont masqués, et, aux trois rangs de sabords, qui percent les flancs puissants, quelques lueurs piquées par les étoiles dénoncent les canons à l'affût.
Il y a là en effet huit navires de guerre, toute une escadre, qui s'avancent sur une seule ligne, poussés par une brise régulière, et sont assez proches l'un de l'autre pour ne pas se perdre de vue, même dans la demi-obscurité.
À bord du vaisseau amiral, plus haut que les autres et qui amasse plus d'ombre autour de lui, deux jeunes officiers, accoudés au bastingage, causent à voix basse.
Autour d'eux les manoeuvres s'accomplissent presque en silence. Le battement de la toile, quand la brise mollit, le léger sifflement des cordages, le craquement de la carène sont les seuls bruits qui se mêlent au murmure continu de l'eau, déchirée par la proue.
Parfois, cependant, une poulie jette un grincement qui fait l'effet d'un cri.
Quelques lumières apparaissent au bord de l'horizon qui semble proche ; rousses et troubles à côté du scintillement bleu des étoiles, elles sont disposées irrégulièrement à des hauteurs différentes.
- Madras ! dit l'un des officiers à son compagnon.
- En sommes-nous loin ?
- À une lieue peut-être. Et le jeune homme ajoute en riant tout bas : Ils dorment sur leurs deux oreilles, ces bons Anglais, et presque tous ont déjà soufflé leur chandelle ; c'est pourtant là, je gage, leur dernière bonne nuit ; les trois cents bouches de nos canons leur chanteront demain l'aubade.