« Où donc est Mlle Tranquille, Victor ?
- Madame la baronne, je n'ai pas vu mademoiselle.
- Comment cela ? elle est sortie avec moi tout à l'heure, lorsque je reconduisais le colonel Hameland.
- J'étais alors derrière la serre, sans doute. »
Ce dialogue se tenait dans une des allées du parc attenant au château de Val-Argand, entre la baronne de Val-Argand et son jardinier, qui, le sécateur à la main, visitait un superbe buisson de rosiers.
La baronne de Val-Argand portait vigoureusement son demi-siècle ; sa taille était haute et sa marche leste. Ses traits, mal agencés, n'avaient aucune prétention à la beauté ; mais ses yeux roux, bordés de cils blonds, pétillaient d'esprit, et ses manières, son allure, ce je ne sais quoi d'inimitable qui forme la vraie distinction, en faisaient une grande dame de fort belle mine.
Qu'elle se montrât familière ou impérative, très aimable ou très hautaine, qu'elle fît la révérence à un hôte illustre ou l'aumône à un pauvre, elle se retrouvait toujours elle-même, parfaitement distinguée, avec une pointe d'originalité qui était à son esprit ce que la mouche était autrefois à l'ornementation du visage.
Elle n'attendit pas d'autres explications et marcha de son pas ferme et rapide jusqu'à la grande cour sablée qui s'étendait devant la façade du château où attendait une calèche à deux chevaux, conduite par un bon gros cocher immobile sur son siège.
La baronne leva la tête et s'adressant au cocher :
« Vous qui êtes si haut perché, Lucien, dit-elle, n'avez-vous pas vu dans quelle partie du parc Mlle Tranquille s'est égarée ? »
Le cocher tendit son fouet vers la crête de zinc que découpaient sur l'azur du ciel les feuilles de trèfle placées dans le blason des Val-Argand.