Cette histoire a eu lieu en 1840 environ sous le règne de Louis-Philippe, dans une forêt de la Bourgogne, alors moins peuplée de cantons et de châteaux, qu'elle ne l'est de nos jours.
La nuit était sombre ; une vilaine nuit d'automne, sans lune, sans étoiles, avec une bise aigre qui faisait gémir les branches à demi dépouillées et qui cinglaient désagréablement le visage.
Au milieu de la route solitaire qui conduit de Saint-Prestat à Champ-Boeuf, un homme cheminait en boitillant ; il venait de loin et jurait à chaque caillou que rencontrait son pied fourbu.
Il portait un paquet qui semblait plus embarrassant que lourd. De temps en temps il se retournait, et une expression de terreur pâlissait son visage lorsqu'il croyait voir passer une ombre à ses côtés.
Il était de taille colossale et robuste ; mais en ce moment il était craintif comme un enfant.
« Pourvu qu'ils aient bien caché le corps !» grommelait-il entre ses dents.
Ils, qui donc était-ce ?
Sans doute les misérables que le nocturne voyageur avait laissés, une heure auparavant, à minuit, au carrefour de la Croix rouge, sur la route de Saint-Prestat.
L'oeuvre à laquelle se livraient ces bandits consistait à effacer le plus habilement possible les traces de leur crime.
Car un drame affreux avait eu lieu cette même nuit en cet endroit : trois brigands piémontais, experts en ces sortes d'affaires, aidés du braconnier Favier que nous venons de voir arpenter la route obscure, avaient détroussé (pour employer leur pittoresque expression) un voyageur qui se rendait, en simple voiture de louage, au château de Cergnes situé à quelque distance de là.
Et vraiment, il était bien pressé d'y arriver, le pauvre étranger, car, malgré les représentations de l'aubergiste chez lequel il avait soupé, il avait voulu se remettre en chemin le soir même. Cette obstination se comprenait cependant : cet homme, jeune encore, dont la belle et noble figure portait une profonde expression de tristesse, avait avec lui un petit enfant, mignonne créature que venait de quitter sa nourrice ; et le pauvre père, à l'issue d'un long voyage qui allait enfin avoir un terme, pour la petite fille du moins, apaisait la faim du bébé avec un biberon, s'acquittant d'ailleurs de ces soins avec une délicatesse infinie, en dépit de la maladresse qui les accompagne toujours quand ils sont donnés par un homme.