Deauville, c'est, de juillet à septembre, l'abcès qui crève tous les ans sur nos côtes : Deauville ramasse l'argent du Parisien et de l'étranger.
Le Havre, une pieuvre au bout de l'estuaire, entortille le grand commerce, les transats fameux, les paquebots de partout.
Plus loin, dans les terres, Rouen pompe aussi le trafic et la richesse.
Ruiné par ces trois-là, Honfleur, dans son bain de vase, continue à se mourir.
Depuis des siècles.
Ruiné, oui, quant au négoce, à la prospérité ; mais au point de vue de la beauté, de la personnalité, sauvé.
Cette ville où le moyen âge est encore tout vivant fait pourtant ce qu'elle peut, par ses propres moyens, pour tuer son passé, bien que ne pouvant prétendre aux avantages du modernisme. Elle a, comme toute la France, un actif artisan de l'irréparable, acharné contre ses reliques, acharné contre les arbres de l'alentour. Oh ! trouver l'occasion de démolir de la pierre séculaire ; d'abattre des troncs également séculaires ! Quand la bêtise est faite, il en est beaucoup pour se réjouir ; un peu moins pour pleurer devant l'attentat.
Cependant, le vieux parler reste encore intact dans la ville, et l'accent chantant, ainsi que nombre d'institutions généralement d'ordre religieux. « Une vieille coutume est un monument », disait un de ses doyens. La hache, heureusement, n'est pas facile à mettre dans ces monuments-là.
Car la Normandie toute entière tient bon.
Elle est défendue, en marge des routes nationales où passent le 20e siècle et ses autos, par les chemins creux où ne pénètrent guère les non-Normands. C'est là qu'il faut découvrir tant de coins de campagne où semble n'avoir pas soufflé même l'esprit de la Révolution.
Un des purs quartiers de ce blason-là, c'est précisément Honfleur, jadis unique port français sur la Manche.
Bien sûr, les barques à voile y sont à présent adultérées par le moteur à essence, qui assourdit et empuantit l'ancien grand silence où de longues ailes de toile se frôlaient comme des archanges ; bien sûr, le phonographe et la T. S. F., au fond de quantités de logis, mettent en fuite les fantômes accagnardés dans les encoignures...
Et le reste.