Tous les panneaux de l'escalier étaient des miroirs encadrés de moulures blanc et or. La jeune fille s'y voyait venir, de face, de profil, de trois quarts, en montant, derrière le domestique chargé de l'annoncer, les belles marches de chêne luisant où les pas s'étouffaient dans le ruban velouté d'un tapis fauve d'Axminster.
Le premier palier s'élargissait en une petite serre pleine de palmes, de fougères, où tintaient les gouttes d'un mince jet d'eau. Au second palier, encore l'obsession des miroirs, et trois portes en face, à droite et à gauche, dont l'une s'entr'ouvrit ; par la fente, un regard glissa comme une flèche. On entendit un chuchotement, puis ce rire étouffé que les jeunes Anglaises appellent « giggle », leur langue ayant apparemment besoin d'un terme dont l'équivalent manque au français.
« Je les fais rire, ça s'annonce mal », pensa l'objet de cet espionnage embusqué.
La porte du salon - miroirs - fut ouverte toute grande par le valet de chambre qui annonça en prononçant du mieux qu'il put : « Mad'me-selle Lemâ. »
- Mademoiselle Thérèse Lemaire, fit d'un ton d'accueil et en un français excellent la dame magnifique dont la main chargée de bagues et le bras lourd de bracelets s'arrondirent pour inviter la jeune personne à s'approcher.
Thérèse, quoique ignorante et gauche, était fière ; elle s'était juré que personne en Angleterre ne l'intimiderait, ou que du moins on ne s'en douterait point. Qu'au contraire, souvent, on serait plus intimidé qu'elle, par un système qu'elle avait mis à l'essai déjà sur le bateau, entre Dieppe et New-Haven. Elle promena lentement ses yeux du bas en haut sur la dame, dont elle considéra ensuite la tête avec des prunelles immobiles.
Mme Nymoll aussitôt porta la main à ses cheveux, se tourna vers le miroir immense incrusté dans la boiserie derrière un vaste divan. Ne constatant aucun désordre dans sa coiffure, elle revint à Thérèse qui, maintenant baissait les yeux gravement, poliment. Après dix secondes de silence, la conversation s'engagea.
- Je n'aurai pas beaucoup de temps, c'est mon jour, j'attends des amies, commença Mme Nymoll, frôlant du doigt les plis soyeux et abondants de sa robe d'un rouge hardi, riche et profond comme le coeur d'une rose rouge.
À demi décolletée, cette femme de trente-cinq ans portait très haut une petite tête rendue intéressante par d'immenses yeux noirs dévorants et par un teint d'ivoire mat, dépourvu du moindre nuage rose naturel ou artificiel. De longues boucles d'oreille et un collier formé de pierres bizarres brun-vert, teintées et veinées comme des algues, serties de petits brillants, ajoutaient au surah pourpre de la robe une note exotique, indoue, comme une fugace vision de pierres volées à une idole dans un temple.