Lettres inédites au maréchal de Richelieu et à Saint-Lambert
On s'est beaucoup occupé de Voltaire dans ces derniers temps, et après tant d'attaques violentes et de jugements passionnés, c'était justice de revenir à ce grand homme avec impartialité ou plutôt avec reconnaissance. Voltaire a été le hardi fondateur de cet esprit de tolérance politique et religieuse que, malgré quelques essais infructueux en sens contraire, la génération actuelle tient à honneur de maintenir. Voltaire fut le représentant de tout un siècle. M. de Châteaubriant l'a dit : « Voltaire est à lui seul toute l'histoire de France de son temps. » Nous n'avons point à rappeler ici ce qu'a fait pour la France et pour le monde ce bienfaisant génie à qui Paris doit encore une statue auprès de celle de Molière. Nous entreprenons une tâche plus humble. Il y a presque toujours dans la vie des grands hommes une attrayante figure de femme dont les biographes attachés à la principale figure dédaignent de s'occuper, ou qu'ils ne nous rendent qu'imparfaitement. N'est-ce pas aux femmes qui tiennent une plume de revendiquer ces touchantes et nobles mémoires trop souvent méconnues par la postérité ? Les femmes sont un peu traitées par les historiens et par les moralistes comme on traite les nations vaincues, c'est-à-dire que leur personnalité s'efface, disparaît, ou tout au moins se confond dans celle de l'homme qui les a dominées. Ce qu'elles eurent d'originalité, de grandeur, et quelquefois de génie, ne leur est reconnu que comme un reflet de l'esprit de l'homme célèbre qu'elles ont aimé.
C'eût été pourtant, même sans le prestige de la renommée de Voltaire, une femme vraiment supérieure par le coeur et par l'esprit, qu'Émilie-Gabrielle, marquise du Châtelet. Née à Paris, en 1706, elle était fille du baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs. Douée d'une vive intelligence, elle apprit dès son enfance, et comme en se jouant, l'italien et le latin. Elle avait commencé à quinze ans une traduction de Virgile, et les fragments qui restent de cette étude prouvent combien elle avait dès lors le sentiment des beautés de l'original.