Au commencement du 15e siècle, le village de Bevaix était loin de ressembler à ce qu'il est aujourd'hui. Il se composait de quelques maisons assez misérables, éparses dans la verdure. De bons plants de vigne couvraient déjà les pentes très inclinées des terrains qui s'abaissent vers le lac, mais à l'endroit qu'on nomme encore aujourd'hui le Châtelard et qui est un des bons crûs de la contrée, sur un mamelon exposé au soleil, s'élevait un castel bien fortifié. Il se composait d'une tour à plusieurs étages, d'où l'on pouvait aisément surveiller tout le pays, et d'un petit corps de bâtiment contigu. D'étroites fenêtres, percées dans les murs, laissaient à peine entrer le jour dans l'intérieur. Du côté du lac, dont les eaux s'élevaient beaucoup plus haut qu'aujourd'hui, l'abord du château était difficile. Il y avait bien un chemin pour se rendre sur le rivage, mais il était si bien dissimulé au milieu des broussailles et des joncs, que les gens du château seuls en connaissaient l'existence. Un large fossé, bordé d'une double haie de grands arbres, entourait les côtés Est, Ouest et Nord du bâtiment, et le défendait contre toute attaque venant de la terre. Un pont-levis presque toujours levé, sur lequel un homme à cheval avait peine à passer, était la seule issue visible du sombre donjon. Telle apparaissait la résidence du châtelain de Bevaix, Messire du Châtelard, comme l'appelaient les paysans et les serfs, de son vrai nom Aymon-Guillaume du Terreaux, seigneur de Bevaix.
C'était un homme farouche et sombre, d'une stature herculéenne. Ses yeux, très enfoncés sous ses sourcils, avaient une expression sardonique et cruelle. Il était redouté de tous ceux qui se trouvaient sous sa domination. Sa charge consistait à recueillir les droits de passage de tous les étrangers qui traversaient le pays ; mais peu à peu la contribution régulière que les voyageurs devaient payer au châtelain se changea en une rançon arbitraire et souvent si élevée que les malheureux avaient peine à la solder.