En vain du temple de Mémoire,
Muse, tu me promis l'accès ;
En vain quelques instants de gloire
Flattèrent mes premiers succès :
Ces riens, ces stériles merveilles
D'un auteur flétri par les veilles,
Qui pour vivre meurt en détail ;
Ces courts honneurs d'un long travail ;
Ces éloges, cette couronne,
Le faux éclat qui l'environne,
Ont-ils satisfait mes désirs?
L'épine croît où le laurier repose;
C'est à Paphos que naît la rose,
La rose, emblème des plaisirs.
Dis-moi, trompeuse enchanteresse,
Si dans les antres du Permesse
J'avais perdu mes premiers ans,
La gloire, ce prix des talents,
Vaut-elle un jour de la jeunesse,
Une fraîche nuit du printemps ?
Mais non, je veux, flatteuse idole,
Qu'au gré de tes voeux on immole
Ses jeunes ans et ses amours,
Pour s'assurer un nom frivole
Dans l'hiver de ses derniers jours :
Le vol de tes constantes ailes
Jusques aux voûtes éternelles
Eut-il porté mes pas heureux?
Non, muse, cet essor rapide
N'est point fait pour l'aile des jeux ;
Voit-on la fauvette timide
Élever son vol jusqu'aux cieux ?
Écho léger du badinage,
Sa voix n'a que de tendres sons ;
Il suffit à son goût volage
De répéter dans le bocage
L'air négligé des folâtres chansons.
Autour d'une molle cadence
Quelques vers pliés par l'aisance,
Enfants légers d'un doux loisir,
Ne sont pas nés dans l'espérance
De vivre un jour dans l'avenir.
Pensant peu, respirant sans cesse
Les douceurs du désoeuvrement,
Je n'ai pas cru que la justesse
Fût nécessaire à l'agrément ;
Non, la beauté de la paresse
Naît du plus simple ajustement.
Dans la peine le goût s'émousse ;
Un pinceau faible se courrouce
S'il est trop longtemps corrigé:
Le mien ne peint qu'en taille-douce ;
Mes Grâces sont en négligé :
Ainsi, la bergère naïve
Dédaigne les vains ornements ;
Son esprit est sa gaîté vive ;
Ses attraits sont des sentiments.