Rose HAREL
Elle est née dans cette glèbe aride et brûlante où se meut, sous l'injustice des hommes, sous l'inclémence des choses, l'immense troupeau des sacrifiés.
La pauvreté, cette tare, la loi, cette marâtre, dès le berceau, la marquèrent au front.
Rose Harel n'a pas de père, elle n'a pas de rentes.
Enfant, on ne l'envoie pas à l'école.
L'école, à cette époque, coûtait cher. On n'avait pas compris encore que la honte n'est pas la misère, mais l'ignorance.
Législateurs et sages pensaient, au contraire que, lorsqu'on est sans ressources, il n'y a pas besoin d'apprendre à lire. Les livres, disait-on, sont hochets de riches ! A quoi bon augmenter le nombre de déclassés ? D'ailleurs, une petite bâtarde... vous concevez ! Elle ferait fuir les élèves payantes...
Or, il advint que cette petite fille du hasard, sur qui s'acharne, dès l'aube première, le dédain des mieux partagés, a une âme. Eh oui ! Une âme faite de lumière, de compréhension et de tendresse ! Dans ce libre esprit qui ne connaîtra ni les ligatures de l'éducation séculaire, ni les entraves des préjugés, les idées mûrissent simplement comme les épis de sa campagne natale ; son intelligence, que nul ne songe à cultiver, est merveilleusement fécondée par les souffles qui passent et qui charrient, pêle-mêle, le pollen des fleurs et le pollen des idées. Son coeur, que n'enfièvre aucune colère, aucune amertume pour l'injustice des conditions sociales, est pétri de cette bonté profonde, qui prend sa source au plus intime de l'être et constitue la suprême vertu humaine.
***
Rose Harel apprit à lire presque seule, tard, vers la treizième année. Plus tard encore, une amie complaisante lui donna des leçons d'écriture, le soir, la rude journée de travail finie, quand s'appesantissent les yeux et la main.
Dans une cave humide, Rose tissait de la toile.