Un blessé - Adolphe BADIN

Chapitre 1.

Cette nuit-là, le froid était épouvantable. Le ciel, sans lune, disparaissait entièrement derrière un brouillard épais, étouffant, qui semblait s'être abattu sur la grande ville comme un lourd manteau de deuil.

Le décor fantastique du Palais de Justice se dessinait vaguement de l'autre côté de la rivière, plus fantastique que jamais avec ses contours à demi effacés et la sombre masse de ses deux tours émergeant de l'ombre. Au premier plan, à gauche, les flots noirâtres s'engouffraient avec fracas sous les arches du pont au Change.

Du quai de la Mégisserie, l'oreille percevait une sorte de brouhaha assourdi, où se confondaient mille bruits de nature diverse, piaffements de chevaux sur le pavé gras, roulements de voitures menées au pas, par intervalles quelque jurement étouffé ; et, dominant tout, absorbant tout, ce murmure vague d'une foule nombreuse qui se contient.

À mesure qu'on descendait vers la berge, on voyait peu à peu sortir du brouillard une longue file d'équipages de toute sorte, breaks, tapissières, fiacres de toute taille et de toute couleur, omnibus de chemin de fer, landaus de remise et jusqu'à des coupés de maître, le tout confondu et mêlé, avec le guidon blanc à croix rouge fiché sur le siège, ou accroché à la capote.

Emmitouflés dans de grands manteaux, le cache-nez rayé noir et blanc autour du cou, les gros gants de laine grise aux mains, la courte pipe de terre entre les lèvres, les cochers causaient entre eux ; quelques-uns, pour se réchauffer, se frappaient les flancs à tour de bras.

De cinq minutes en cinq minutes, une voix jetait d'en bas, à travers le brouillard, un nom : Vendrezanne, ou bien Autriche-Hongrie, Grand Hôtel ou Palais-Royal.

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Un blessé - Adolphe BADIN

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