Je vous ai amené ma fillette, me dit après un bout de conversation générale, et comme d'autres visiteurs venaient de sortir, une charmante et aimable jeune femme; voyez comme elle est grande, elle a dix ans et demi!
-C'est une bien belle enfant, l'oeil éveillé, bien fraîche! Je suis sûre qu'elle est bonne aussi, studieuse, et ne fait jamais de peine à sa maman! dis-je en attirant la petite pour l'embrasser.
Je n'avais pas beaucoup remarqué l'enfant lors de son entrée dans le salon, entourée que j'étais de nombreuses visites masculines et féminines, et maintenant il me revenait tout à coup que nous avions parlé en gens du monde de choses et d'autres, et qu'il avait bien pu se glisser des phrases peu faites pour l'oreille d'une enfant, et surtout d'une enfant intelligente.
-Oh! oui, elle est assez bien; elle fait mes délices par ses beaux cheveux! je la peigne du matin au soir; voyez, me répondit la mère en faisant retourner sa fille et en soulevant à poignée une superbe chevelure ondulée avec soin qui recouvrait les épaules de l'enfant.
Je dois ajouter que celle-ci parut se prêter avec complaisance et non sans vanité à l'exhibition.
-Cependant, d'un autre côté, elle me désespère, reprit la jeune mère: elle n'aime pas l'étude, elle ne pense qu'à aller au théâtre, aux matinées d'enfants; elle n'a pas de goût pour la musique;... elle est très en retard, elle n'apprend pas..., on me dit que ça lui passera!...
Et elle s'interrompit en me regardant, attendant évidemment que, selon l'usage, je répondisse par les banalités ordinaires:-Certainement! ça lui passera, laissez-la donc s'amuser... Elle en saura toujours assez, etc.
Et tout au contraire, je dis:
-Ça dépend de vous de le lui faire passer, ma chère amie; c'est à vous de la diriger.
A cette réponse, si peu conforme à l'esprit de société, je l'avoue, la mère ne put retenir un mouvement, et l'enfant elle-même me lança un regard étonné. Je me mis à rire.