Il y a deux ou trois ans, peu importe l'époque, elle n'est de nulle importance dans ce récit, une jeune ouvrière d'un atelier de brochure reçut la lettre suivante :
« Madame, si je ne vous croyais pas une femme supérieure, la lettre que j'ai la témérité de vous écrire ne vous serait jamais parvenue, et je garderais au plus profond de mon coeur les sentiments que j'éprouve pour vous.
« Ce début doit vous surprendre. Écoutez-moi un peu, ou plutôt lisez-moi, et, lorsque vous m'aurez suivi jusqu'au bout, interrogez votre coeur, et, si je ne me suis trompé, il vous dira mon nom, que par délicatesse je n'ose placer au bas de cette lettre.
« Si votre coeur reste muet, jetez-la au feu et n'y voyez que l'oeuvre d'un fou.
« Voilà bientôt six mois que j'ai eu le plaisir de vous voir pour la première fois, et tout d'abord je vous ai distinguée d'entre toutes vos compagnes.
« Pourtant je ne vous avais pas parlé, à peine si je m'étais approché de vous, nul regard ne m'avait encouragé ; d'où provenait ce commencement d'amour, je l'ignore.
« Du reste, je raconte et ne discute pas. Je vous aime de l'amour le plus pur ; j'aime le son de votre voix, la couleur de vos cheveux ; tout en vous me charme et me séduit. Connaissant votre position, je ne vous demande rien, ni regards ni espérance.
« Je voulais seulement vous dire que je vous aimais, et que vous aviez en moi le plus respectueux de vos admirateurs. »
A quelque condition qu'appartienne la femme qui reçoit une telle lettre, fût-elle duchesse ou ouvrière, son amour-propre est toujours flatté.
Augustine fut heureuse.