Souvenirs de quarante ans, 1789-1830 - Pauline de TOURZEL

Chapitre 1.

C'est pour vous, mes enfants, que j'ai rassemblé ces souvenirs qui, plus d'une fois, ont rouvert dans mon coeur de cruelles blessures. Je crois, en effet, comme mon fils l'a pensé, qu'il est bon que dans chaque famille on prenne soin de redire à ceux qui vous suivent les événements auxquels on a pris part, ou même qu'on a vus d'assez près pour en parler avec l'autorité de témoin oculaire.

C'est au moyen de ces souvenirs que les traditions se continuent dans les familles. On aime à conserver dans des galeries les portraits de ses aïeux ; il semble plus naturel encore d'aimer à connaître leurs tristesses et leurs joies, leurs émotions, leurs épreuves, en un mot leur vie ; et pour ceux qui se rapprochent du terme de leur existence, c'est une consolation que de penser qu'ils laisseront après eux comme une vivante image d'eux-mêmes, qui les rendra présents à l'esprit de leurs petits-enfants.

Il ne fallait rien moins que ces considérations, mon cher fils, pour me décider à revenir sur un passé qui me rappelle de bien pénibles émotions, car, après être née au milieu des splendeurs de l'ancienne société française, je me suis trouvée mêlée, pendant les premiers jours de ma jeunesse, aux catastrophes qui en ont marqué la fin.

J'étais le cinquième enfant et la quatrième fille de la marquise de Tourzel, qui fut pour moi la meilleure des mères. Tendrement élevée par elle, entourée de soeurs chéries, il ne m'est resté des jours riants de mon heureuse enfance qu'un seul souvenir douloureux, celui de la perte cruelle d'un père pour qui nous avions la plus juste et la plus profonde affection.

Au mois de novembre 1786, mon père, le marquis de Tourzel, chassant avec le Roi Louis 16 à Fontainebleau, fut emporté par son cheval dans la forêt ; il se heurta la tête contre des branches d'arbre qui le blessèrent mortellement. Après huit jours de souffrances, pendant lesquels il endura les traitements les plus douloureux, assisté, soutenu par ma malheureuse mère, il mourut dans la cabane d'un garde où il avait d'abord été transporté ; son état était si grave, que les médecins avaient interdit tout déplacement.

Le Roi, dans cette occasion, laissa voir toute la bonté de son coeur. Il veilla lui-même à ce que tous les soins nécessaires fussent donnés à mon père. Pendant sa maladie, il ne cessa d'exprimer les plus vives inquiétudes, et, après sa mort, il témoigna les plus douloureux regrets : il sentait qu'il perdait en lui un sujet fidèle, un ami dévoué.

***


Souvenirs de quarante ans, 1789-1830 - Pauline de TOURZEL

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
Chapitre 14.
Chapitre 15.
Chapitre 16.
Chapitre 17.
Chapitre 18.
Chapitre 19.
Chapitre 20 : Épilogue.


{Editions altifagiennes}