M. et Mme de Néri et leurs enfants étaient de retour à Paris depuis quelques jours. Blanche et Laurence de Néri, âgées l'une de dix-huit ans, l'autre de seize ans, avaient continué à demeurer avec leur frère et leur belle-soeur. Quatre ans auparavant, après la mort de leur mère, elles avaient demeuré chez leur soeur aînée Léontine de Gerville, âgée alors de vingt-trois ans ; mais le caractère intolérable de leur nièce Giselle, qui avait alors près de six ans, et la faiblesse excessive de Léontine et de son mari pour cette fille unique, avaient forcé Pierre de Néri à retirer ses soeurs de l'odieux esclavage dont elles souffraient. Ils avaient été passer un hiver à Rome ; M. de Néri retrouva à Paris sa soeur Léontine, qu'il aimait tendrement, et qu'il voyait presque tous les jours.
Un matin, que Giselle avait fait une scène de colère en présence de son oncle, et que Léontine cherchait à persuader son frère de la sagesse et de la douceur de Giselle, Pierre ne put s'empêcher de lui dire : « Je t'assure, Léontine, que tu es encore bien aveugle sur les défauts de Giselle ; elle est franchement insupportable. »
LÉONTINE. - Oh ! Pierre ! comment peux-tu avoir une pensée aussi fausse ! Tout le monde la trouve changée et charmante.
PIERRE. - Je veux bien croire qu'on te le dise ; mais ce que je ne puis croire, c'est qu'on te parle franchement.
LÉONTINE. - Si tu savais comme je suis devenue sévère ! Je la gronde, je la punis même toutes les fois qu'elle le mérite.
PIERRE, souriant. - Très bien ; mais elle ne le mérite jamais.
LÉONTINE. - Ceci est vrai ; elle est devenue douce, obéissante, tout à fait gentille. Mais tu es si sévère pour les enfants, que tu ne supportes ni leur bruit, ni leurs petits défauts...
PIERRE. - En effet, je ne supporte pas leurs cris de rage ni leurs méchancetés ; mais quant à leurs jeux, leurs cris de joie, leurs petites discussions, non seulement je les supporte, mais je les aime et j'y prends part. Au reste, tant mieux pour elle et pour toi si je me trompe. J'ai promis à mes enfants de leur acheter des fleurs pour des bouquets qu'ils veulent donner à Noémi le jour de sa fête.