Marianne - George SAND

Chapitre 1.

« Quand tu passes le long des buissons, sur ce maigre cheval qui a l'air d'une chèvre sauvage, à quoi penses-tu, belle endormie ? Quand je dis belle... tu ne l'es point, tu es trop menue, trop pâle, tu manques d'éclat, et tes yeux, qui sont grands et noirs, n'ont pas la moindre étincelle de vie. Or, quand tu passes le long des buissons, sans soupçonner que quelqu'un peut être là pour te voir paraître et disparaître, - quel est le but de ta promenade et le sujet de ta rêverie ? Tes yeux regardent droit devant eux, ils ont l'air de regarder loin. Peut-être ta pensée va-t-elle aussi loin que tes yeux ; peut-être dort-elle, concentrée en toi-même. »

Tel était le monologue intérieur de Pierre André pendant que Marianne Chevreuse, après avoir descendu au pas sous les noyers, passait devant le ruisseau et s'éloignait au petit galop pour disparaître au tournant des roches.

Marianne était une demoiselle de campagne, propriétaire d'une bonne métairie, rapportant environ cinq mille francs, ce qui représentait dans le pays un capital de deux cent mille. C'était relativement un bon parti, et pourtant elle avait déjà vingt-cinq ans et n'avait point trouvé à se marier. On la disait trop difficile et portée à l'originalité, défaut plus inquiétant qu'un vice aux yeux des gens de son entourage. On lui reprochait d'aimer la solitude, et on ne s'expliquait pas qu'orpheline à vingt-deux ans, elle eût refusé l'offre de ses parents de la ville, un oncle et deux tantes, sans parler de deux ou trois cousines, qui eussent désiré la prendre en pension et la produire dans le monde, où elle eût rencontré l'occasion d'un bon établissement.

La Faille-sur-Gouvre n'était pas une ville sans importance. Elle comptait quatre mille habitants, une trentaine de familles bourgeoises, riches de cent mille à trois cent mille francs, plus des fonctionnaires très bien et connus depuis plusieurs années, enfin un personnel convenable, où une héritière, si exigeante qu'elle fût, eût pu faire son choix.

Marianne avait préféré rester seule dans la maison de campagne que ses parents lui avaient laissée en bon état, suffisamment meublée, et dans un site charmant de collines et de bois à peu près désert, à quatre kilomètres de la Faille-sur-Gouvre.

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Marianne - George SAND

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
Chapitre 14.
Chapitre 15.
Chapitre 16.
Chapitre 17.
Chapitre 18.
Chapitre 19.
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22.
Chapitre 23.


{Editions altifagiennes}