Ma chère maman - Olga de PITRAY

Chapitre 1.

Je n'ai pas la prétention de faire ici la biographie non plus que la généalogie de ma bonne mère. Sophie, comtesse Rostoptchine, devenue plus tard comtesse de Ségur, est trop connue par ses ouvrages et par le livre charmant de mon frère Gaston : Ma mère, pour que je répète ce que l'on connaît déjà. Née et élevée en Russie avec un luxe tout royal, elle habitait tantôt à Moscou le magnifique hôtel qui fut incendié avec Moscou puis reconstruit après le départ de Napoléon, tantôt la superbe terre de Woronowo dont j'ai parlé dans Mon bon Gaston. Son éducation fut à la fois très sévère et très soignée. À quatre ans la petite Sophie parlait correctement le russe, le français, l'anglais et l'italien, grâce à des gouvernantes appartenant à chacune de ces nationalités. À sept ans elle jouait du piano avec une telle facilité qu'elle savait par coeur la belle et difficile sonate de Steibelt : L'Orage. Malheureusement pour les amateurs de musique, la comtesse Rostoptchine, ayant entendu l'enfant dire que le piano l'ennuyait, la laissa libre d'abandonner une étude qu'elle trouvait frivole, et lorsque ma mère reprit son piano, ce fut beaucoup trop tard pour rattraper le temps perdu. Elle le regretta quand elle eut l'âge de le comprendre, car elle aimait extrêmement la musique... mais l'enfant insouciante ne songea alors qu'à se réjouir lorsque ses menottes purent être libérées des exercices qu'elle redoutait. Vivant dans un château princier, ayant tout un monde de serviteurs aux ordres de leurs seigneurs, ma grand-mère éleva néanmoins en spartiates ses trois filles : Nathalie (qui devint plus tard Mme Naritchkine), Sophie (ma mère) et Lise, cette merveille de beauté et de bonté. Elles se servaient elles-mêmes ; chacune d'elles, quoiqu'entourée de femmes de service, s'habillait, se coiffait, faisait son lit, son appartement et taillait ses robes. Ma mère était fort bonne couturière et faisait même ses corsets. Élevée en Lacédémonienne, elle avait une couchette tellement dure et étroite que la plupart du temps elle se réveillait par terre ; elle garda toute sa vie l'habitude de dormir sur la dure et l'on pourra voir, dans une de ses lettres à moi adressées, une recommandation à cet égard. À son arrivée en France, elle faisait son lit en ôtant matelas et paillasse ; les planches lui semblaient préférables pour dormir. Elle était aussi spartiate pour se couvrir que pour se reposer. Dans les grands froids, elle ajoutait à son unique couverture un journal déplié qui lui donnait, disait-elle, un notable surcroît de chaleur.

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Ma chère maman - Olga de PITRAY

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.


{Editions altifagiennes}