Passions et vanitès - Anna de NOAILLES

Fantaisie et jeunesse des femmes.

Les femmes m'en voudront-elles de leur dire que je ne m'habitue pas à leur grand mépris de la chevelure d'Yseult, voile d'or sur le vaisseau de Tristan ; à leur dédain de la fringante coiffure de Diane, et même de cet étroit anneau bombé, délicat comme la châtaigne, qui repose sur le col grec de la « Jeune fille aux osselets » ? Silencieuse par politesse devant tant de subits pages florentins et de japonais aux joues roses, je leur fais pourtant un grief de leurs cheveux courts, de cette suppression de rêve, d'ingéniosité, de réussite autour du visage. Je leur reproche ce dépouillement de la nuque, lieu secret, amoureux de l'ombre, modelé pour supporter le coquillage soyeux, rêche, sombre, doré, ou bien pour paraître effronté par l'élancement, jusqu'au sommet de la tête, de la parure vivante qui vient s'y abattre ou s'y épanouir.

Enfin, surtout, je leur demande compte du vide sur l'oreiller, de ces poétiques langueurs disparues, dont il fallait rendre grâce aux chevelures éparses, aussi touchantes que les bras abandonnés, que la respiration innocente du sommeil sans défense, que la romance fredonnée inconsciemment dans la solitude.

Tout le pathétique des paupières abaissées, du masque confus, riant, passionné, résidait dans l'enveloppement et le déploiement des cheveux sages ou turbulents, soie embaumée, mouvante tiédeur, emmêlement, faiblesse ! Car les hommes ne l'entendront plus, ce tendre cri de précaution et de reproche qui s'élevait, jadis, au début de l'amoureuse bataille, quand le long cheveu restait accroché au fermoir de nacre ou d'or de leurs manchettes ! Ils n'entendront plus la voix dolente, vaincue, mais dispose et résolue s'écrier : « Mes cheveux ! », au moment de les rejeter rapidement et prudemment hors des plus vives étreintes.

Avoir écarté de l'amour l'un de ses témoins, l'une de ses victimes, la chevelure dénouée, quelle mutilation de l'abandon, quelle diminution de la véhémence, du désordre et de la surprise ! Disparue, désormais, la jeune femme à demi-coupable et déjà inquiète, recherchant craintivement l'épingle d'écaille glissée sous les coussins du fauteuil, du divan, et jusque sur le tapis, où, enfin, on la retrouve, complice discrète qui revient, absout et répare.

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Passions et vanitès - Anna de NOAILLES

  TABLE DES MATIERES

Fantaisie et jeunesse des femmes.
Ambition des femmes.
Les dîners en ville.
L'automne en Savoie.
Ce que j'appellerais le Ciel.


{Editions altifagiennes}