Carnaval - Mireille HAVET

Première partie : Connaissance.

Chapitre 1.

Ce soir-là, ils dînent au Chatham.

Germaine avait dit : « Je vais mettre une petite robe rose ». En réalité sa robe est noire. La seule rose sans doute, est ce visage penché à l'ombre du chapeau, les épaules nues, sous la dentelle où scintillent et roulent, avec une fraîcheur marine la rondeur d'admirables perles.

Daniel, à ses côtés, ne perd pas un sourire.

Agité, il ignore le homard thermidor et le poulet Chatham. Son pâle visage fait un contraste pur avec celui fardé d'impudence de la femme tout occupée à le conquérir. Conquête facile, Daniel aime l'amour, les Champs-Élysées, grandes automobiles et les cocktails. Autrefois, il aimait la campagne et, dans son jardin désordre, les asters bêtes et tristes et le grand plant d'asperges où l'on coupait, à l'automne, des brassées de feuillages roux que sa mère disposait dans les vases du salon pour faire un fond aux chrysanthèmes.

Il aimait aussi les mots d'où partent, mieux que des gares, les vrais rapides qui nous entraînent.

Il aimait la lecture et l'encre, maintenant cette femme.

Germaine parle de Venise : « Viendrez-vous ? J'ai un vieux palais sur le grand canal, des plantes fleurissent entre ses marches. C'est la saison de Venise. Pourquoi ne pas partir. De la terrasse on voit, comme des ombres, les gondoliers sur leur grande semelle qui glisse. »

À minuit, ils remontent les Champs-Élysées. La femme embaume dans ses fourrures mieux qu'une bête au coeur magique et plus qu'une plante dont la nuit dénoue les parfums. Un peu de vent agite les grands arbres de l'avenue Gabriel où dorment d'autres guignols, et Daniel, son bras serré contre cet autre bras inconnu, divague doucement d'un amour qu'il crée à mesure.

-- « Jamais, dit-il, je n'aurais cru qu'un être comme vous puisse exister, madame. Sans doute je vous attendais, car je ne me souviens pas d'avoir écouté quiconque avec cette passion. »

-- « Vous mentez, dit-elle, Vous êtes si jeune que vous croyez au prestige de cette jeunesse sur ceux qui ont déjà souffert de l'amour, mais vos phrases ne me touchent pas. Je les ai trop dites moi-même et trop entendues dans le vide et le hasard des rencontres qui ne mènent qu'à plus d'égoïsme et de silence. Je ne vous demande pas de m'aimer, je connais l'amour mieux que vous, c'est un poison terrible qu'il faut chasser, une drogue supérieure à toutes. N'en parlez donc pas si légèrement, je ne prends pas votre impudence pour de la naïveté.

***


Carnaval - Mireille HAVET

  TABLE DES MATIERES

Première partie : Connaissance.
Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.

Deuxième partie : Séparation.
Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.

Troisième partie : Définitive évasion.
Chapitre 1.
Chapitre 2.


{Editions altifagiennes}