Péril - Henry GREVILLE

Chapitre 1.

Après avoir langui, la conversation tomba, et un de ces silences qui précèdent le départ s'établit dans le salon, parfumé jusqu'à la migraine par une somptueuse corbeille d'orchidées.

Niko Mélétis, sans avoir regardé depuis deux minutes autre chose qu'une belle toile de Corot, accrochée en face de lui, au-dessus de la maîtresse de la maison, comprit qu'il ne pouvait mieux faire que de s'en aller ; il se leva donc, étirant inconsciemment, d'une façon imperceptible, ses membres longs et fins lassés d'un repos prolongé.

- Il faut que je vous quitte, mademoiselle, dit-il, mentant effrontément, vous voulez bien me le pardonner ?

Les yeux de la jeune femme clignèrent un peu, comme si elle étouffait sous ses cils une gaieté intempestive.

- Déjà ? fit-elle. Il est onze heures à peine ; vous avez des affaires à cette heure-ci ?

- Hélas !

Il se pencha sur la belle main un peu forte qui s'avançait vers ses lèvres et la baisa tranquillement.

- Au revoir, André, dit-il en cherchant son chapeau, sans regarder son ami qui restait immobile.

- Mais, je te suis... répondit André Heurtey à contrecoeur.

Raffaëlle l'arrêta du geste.

- Vous n'allez pas m'abandonner aussi ? fit-elle avec une pointe de raillerie. Donnez-moi une demi-heure, et je vous donnerai une tasse de thé.

André s'inclina en silence. Niko Mélétis, voyant que tout était contre lui, se décida à s'en aller seul, quoique à regret.

- À demain ! dit-il à André, avec une poignée de main fraternelle.

Mlle Solvi l'avait accompagné jusqu'au milieu du salon ; elle s'assura par la porte ouverte que le valet de pied donnait au visiteur son pardessus et sa canne, et revint joyeusement vers Heurtey.

- Enfin ! dit-elle en se pelotonnant dans son fauteuil, presque aussi profond qu'une chaise longue. Enfin ! nous voilà seuls ! Il est bien gentil, Mélétis, mais il vous garde un peu trop à vue.

- Il est amoureux de vous ! répliqua André d'un ton sombre.

Raffaëlle sourit ; elle riait rarement, étant très soucieuse de la correction de ses manières.

- Eh bien ! quand cela serait ? fit-elle avec la plus parfaite indifférence. Mais cela n'est pas, et vous le savez bien.

- Je n'en sais rien du tout ! insista le jeune peintre.

- Vous allez peut-être me dire aussi que je l'aime ?

- Cela se pourrait ; tout est possible, puisque vous ne m'aimez pas !

Elle attacha sur lui le regard de ses yeux noirs, profonds, - veloutés, quand elle le voulait.

- C'est à moi de vous dire : Vous n'en savez rien ! répondit-elle à voix basse.

Éperdu, André se laissa glisser à demi agenouillé sur les coussins, près d'elle.

- Raffaëlle, Raffaëlle, dit-il, ne me tourmentez pas... Voilà six mois que vous me tenez attaché au pied de ce fauteuil comme un petit chien au bout d'une laisse... Je vous ai dit cent fois que je vous aime, vous m'avez torturé de cent façons, mais jamais encore de celle-ci...

- Relevez-vous, dit tranquillement Mlle Solvi, François va apporter le thé, et il ne faut pas qu'il vous trouve dans cette position ridicule.

André se releva et s'assit à sa place d'un air boudeur. Son joli visage d'artiste et d'enfant gâté avait une expression de gêne et de souffrance.

***


Péril - Henry GREVILLE

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
Chapitre 14.
Chapitre 15.
Chapitre 16.
Chapitre 17.
Chapitre 18.
Chapitre 19.
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22.
Chapitre 23.
Chapitre 24.
Chapitre 25.
Chapitre 26.
Chapitre 27.
Chapitre 28.
Chapitre 29.
Chapitre 30.
Chapitre 31.
Chapitre 32.
Chapitre 33.
Chapitre 34.
Chapitre 35.


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