Les Ormes - Henry GREVILLE

Chapitre 1.

La nuit descendait sur la grande-vallée dont les lignes austères se profilaient sur le ciel gris d'ardoise.

Tout était gris : le fond des ravins, où coulaient avec une brume opaline les ruisseaux gris cendré ; les grandes prairies, sur la pente des coteaux, gris plus foncé, et pourtant d'une transparence telle que les moindres accidents de terrain s'accusaient par des changements dans la nuance. Les hautes avenues d'ormes ou de hêtres, aux branchages touffus, traçaient des lignes majestueuses d'un gris sombre sur les cultures, et tout en haut, près de l'horizon, sombre et cependant plus clair, la lande désolée se détachait en une ligne si foncée qu'on l'eût crue noire, si la masse de forêts qui la continuait ne s'était montrée beaucoup plus sombre encore. Pourtant, rien n'était noir, car un corbeau pensif, arrêté sur la girouette de l'église, se détachait sur le fond comme une tache d'encre sur du papier blanc.

Une trouée claire dans le ciel laissait tomber une lueur étrangement mélancolique sur une des sinuosités de la vallée, où s'étendait un vaste pâturage. Soudain, une teinte rosée se répandit dans l'espace, la trouée s'embrasa et devint rouge cerise ; les nuages pommelés se marbrèrent de la même nuance, répandant sur le paysage une splendeur sinistre. Les arbres parurent plus noirs, les objets colorés plus clairs, la vallée sembla s'étendre, au loin, grandie et prolongée par cette lumière inattendue, - puis la rougeur disparut, les traînées de braise incandescente s'éteignirent sur les nuages, redevenus d'un gris de plomb, ourlé çà et là d'une blancheur menaçante, et l'austère pays reprit son aspect de grandeur sombre et désolée dans l'obscurité de la nuit d'hiver.

Une femme enveloppée d'un manteau, la tête couverte d'une épaisse écharpe de dentelle, debout sur le perron du petit château des Ormes, avait regardé le couchant du soleil ; quand la dernière rougeur se fut éteinte au ciel, elle se dirigea vers l'escalier placé au bout de la terrasse et descendit lentement, sans cesser de contempler le paysage qui s'étendait sous ses yeux.

Riche et verdoyant l'été, il offrait, le jour, même en cette saison, une étonnante variété de plans et de couleurs ; mais à cette heure, il ne semblait plus qu'un gouffre profond. Les allées d'arbres qui avaient donné leur nom à la demeure descendaient rapidement vers le fond de la vallée ; les sommets des ormes atteignaient à peine le niveau de la terrasse, puis la sombre masse disparaissait dans la nuit, comme entraînée par son propre poids, en donnant l'illusion d'une chute dans l'abîme.

***


Les Ormes - Henry GREVILLE

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
Chapitre 14.
Chapitre 15.
Chapitre 16.
Chapitre 17.
Chapitre 18.
Chapitre 19.
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22.
Chapitre 23.
Chapitre 24.
Chapitre 25.


{Editions altifagiennes}