Ce soir-là, - mardi de Pâques 1860, - tout le quai de la Cour était en rumeur : madame Avérief donnait un bal d'enfants.
La maison de madame Avérief avait longtemps été une des plus remarquées parmi celles qui ont, tous les ans, l'honneur de voir la famille impériale paraître à l'une au moins de leurs fêtes, pompeuses et savamment ordonnées. Tout lui donnait droit à ce privilège : la haute naissance de l'hôtesse, son deuil prématuré, - si noblement porté en mémoire de l'époux tué à Varna, - son influence salutaire sur toute la génération qui avait crû sous ses yeux ; sans parler de sa grâce hospitalière et bien avisée, qui classait ses invitations parmi les plus rares et les plus recherchées.
Aussi, lorsqu'à la mort de son fils, le général Avérief, enseveli dans un torrent du Caucase, elle avait clos sa demeure et cessé de donner des fêtes, on eût dit qu'il manquait quelque chose au soleil d'hiver de Pétersbourg.
Pendant cinq ou six ans, la maison Avérief resta morne et muette ; la famille et quelques intimes en franchissaient seuls la porte, jadis ouverte à deux battants ; puis, un jour, la noblesse de la ville apprit, non sans étonnement, que Prascovia Pétrovna, en l'honneur du rétablissement inespéré de son unique petit-fils, rouvrait ses salons et donnait un bal d'enfants. Sa maison vit accourir la fleur, encore en bouton, de la jeunesse pétersbourgeoise. Les invitations étaient aussi recherchées par les enfants qu'elles l'avaient été par les mères ; c'était la fine fleur du panier, - encore recouverte de son duvet.
Le mardi de Pâques de cette année-là tombait en plein avril. La grande salle revêtue de marbre jaune, où se réunissait la jeune troupe, était éclairée par quatre vastes fenêtres donnant sur la Néva, et les rayons obliques du soleil de printemps glissaient perdus dans les rideaux de lampas jaune, pendant que le fond de la salle, malgré les grands miroirs du temps de l'Empire, paraissait déjà sombre et un peu terne.
Les petites danseuses, pour la plupart accompagnées de leurs gouvernantes, se rapprochaient, timides, pour examiner en silence leurs toilettes ; les garçons, plus timides encore, s'étaient parqués près des fenêtres. Quelques mères souriaient et causaient entre elles.