Un crime - Henry GREVILLE

Chapitre 1.

La place de Champcey dormait au soleil dans l'engourdissement de la grosse chaleur. Les maisons closes, les fenêtres fermées, que les rideaux blancs soigneusement croisés rendaient impénétrables au regard, les portes des granges ajustées et cadenassées, et même les charrettes dételées, dont les brancards se levaient au ciel comme les bras d'un dormeur mal éveillé qui s'étire longuement, - tout exhalait une impression de sieste et de béate paresse.

Champcey était en tout temps un village paisible ; aussi loin que remontaient les souvenirs des plus vieux habitants, rien d'extraordinaire n'y était jamais arrivé. La mer avait beau venir hurler au pied des roches curieusement déchiquetées, les Champçois n'avaient point de barques, n'ayant point de port ; en coupant au flanc de la falaise la haute fougère qui leur sert de combustible, ils se contentaient de hocher la tête au passage des voiles téméraires qui se hasardaient au large par le gros temps.

Ce n'est pas eux qu'on aurait pris à risquer leurs biens ou leur personne en quelque aventure périlleuse ! De père en fils les Champçois se transmettaient les principes d'économie et de sagesse avec lesquels, sauf un cas de male maladie, on est assuré de vivre vieux et de mourir dans l'aisance.

À Champcey, on se querellait peu, et l'on ne se battait pas. Les garçonnets eux-mêmes, sur le seuil de l'école, échangeaient parfois des injures, mais jamais de horions : l'instinct de la tranquillité qui fait vivre longtemps sans user beaucoup d'habits était assez fort en eux pour apaiser promptement leurs dissensions enfantines, qui ailleurs eussent probablement dégénéré en rixes turbulentes. Ils se montraient assez volontiers le poing, mais on n'avait pas ouï-dire que les choses eussent jamais été poussées plus avant.

Les journaux pénétraient pourtant dans ce lieu reculé ; il en arrivait même deux, chaque jeudi et chaque dimanche, l'un réactionnaire, pour le curé ; l'autre radical, pour le maire ; mais la politique elle-même ne pouvait troubler la sécurité qu'imposait aux habitants l'atmosphère particulière de Champcey ; on lisait le journal uniquement pour connaître les ventes de biens meubles et immeubles, la gazette des foires et marchés, et parfois, mais rarement, les faits divers de l'arrondissement.

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Un crime - Henry GREVILLE

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.
Chapitre 7.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
Chapitre 14.
Chapitre 15.
Chapitre 16.
Chapitre 17.
Chapitre 18.
Chapitre 19.
Chapitre 20.
Chapitre 21.
Chapitre 22.
Chapitre 23.
Chapitre 24.


{Editions altifagiennes}