L'adieu du poète - Anne-Marie GLEASON-HUGUENIN

Scène 1.

JEANNE .
(Elle entre furtivement et regarde.) Pas encore levé, pauvre ami, pourvu qu'il ne soit pas plus malade ! (Elle dépose une gerbe de fleurs.) Ses jours sont comptés, me disait hier le médecin. Pauvre grand homme ! Venir mourir ici, sous un nom inconnu, sans une amitié !... Voilà pourquoi je suis venue à lui, voulant donner un peu de tendresse à ce malheureux qui s'éteint. Ma mère qui demeure dans cette maison, prise, elle aussi, d'une grande sympathie pour le triste exilé, permet que je lui apporte des fleurs et je viens tous les jours...
Octave Crémazie, un poète, un noble coeur, une grande âme : voilà celui qui va mourir, et qui portera encore dans la tombe le nom de Jules Fontaine.
Il ne sait pas que j'ai deviné son secret. Je resterai muette, ne voulant pas forcer le mystère de la page douloureuse qu'il tient fermée. Il ne sait pas non plus que j'apprends ses vers, ses beaux vers, qui me font vibrer de sublimes frissons... Voici les dernières lignes qu'il a écrites : qu'elles sont tristes !...

Ô larme de ma mère,
Petite goutte d'eau,
Qui tombe sur ma bière,
Comme sur mon berceau.

Ô fleur épanouie,
De l'amour maternel,
Par un ange cueillie,
Dans les jardins du ciel

Larme douce et bénie,
Toi, que ma mère en deuil,
Des hauteurs de la vie,
Verse sur mon cercueil.

Oh ! coule, coule encore
Sur mon front pâle et nu ;
Dure jusqu'à l'aurore,
Bonheur inattendu !

Sa mère ! Comme il l'aime ! (Entendant du bruit :) C'est lui qui vient. Je me sauve pour préparer sa tasse de tisane : il me semble qu'il la prend mieux lorsque c'est moi qui la lui apporte.

***


L'adieu du poète - Anne-Marie GLEASON-HUGUENIN

  TABLE DES MATIERES

Personnages
Scène 1.
Scène 2.
Scène 3.


{Editions altifagiennes}