Mos de Lavène - Juliette FIGUIER

Chapitre 1.

Fabriac est un petit village du Bas-Languedoc. Assis au pied du mont Saint-Loup, la première montagne de la chaîne des Cévennes, il disparaît presque tout entier sous les majestueuses roches grises qui l'environnent. Ni les arts, ni la science n'ont jamais pénétré dans ce coin de terre presque inconnu, dont les habitants ont gardé la simplicité des premiers âges. Cependant, malgré les teintes sévères du paysage qui l'entoure, malgré l'âpreté de ses roches, malgré sa rare verdure, son mince filet d'eau et ses maisons pauvres et nues, peut-être même à cause de tout cela, Fabriac offre au touriste un attrait particulier. On y respire un air salubre, pur, vivifiant, qui calme les sens et repose l'esprit fatigué des agitations mondaines.

Par une belle journée du mois de septembre, époque où le midi de la France jouit de son véritable printemps, un jeune voyageur, le sac sur le dos et la tête inclinée, s'était assis sur une petite éminence de gazon jauni. Il venait de quitter la grande route, et avant de s'engager dans un petit sentier qui mène à Fabriac, il se reposait, plutôt par recueillement que par lassitude, en face du panorama pittoresque qui se déroulait sous ses yeux. Une brise douce et embaumée rafraîchissait l'air. La nature était calme, et les sons les plus affaiblis devenaient perceptibles. On entendait la clochette des troupeaux sur la pente des collines, le roulement, assourdi par les ornières sablonneuses, des charrettes remplies de raisin, et les éclats de rire des vendangeurs qui s'élevaient au loin. Les échos répétaient ces mélodies champêtres, comme les tons gradués d'un mystérieux concert. Tout était harmonie ; la pureté du ciel et le calme de l'atmosphère invitaient à la rêverie. Existe-t-il un sentiment plus tristement doux que le souvenir du passé ? Lorsque nous faisons renaître dans notre coeur les impressions charmantes ou douloureuses depuis longtemps évanouies, un prestige nouveau ne vient-il pas les revêtir ? Le passé est un rêve que nous aimons à caresser ; ce qui n'est plus, ce qui ne peut revivre, se pare toujours de séduisantes couleurs.

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Mos de Lavène - Juliette FIGUIER

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.
Chapitre 3.
Chapitre 4.
Chapitre 5.
Chapitre 6.


{Editions altifagiennes}