J'étais morte.
Positivement et littéralement morte.
La preuve, c'est que tante Germaine se mouchait avec bruit; or, elle ne se mouche que quand elle pleure, elle ne pleure que devant le trépas; tante Bertrande, elle, récitait des prières funèbres d'une voix entrecoupée de sanglots, et mon oncle Valère s'écriait en gémissant:
"Ma pauvre petite pupille! Elle m'a fait enrager bien souvent, mais je la regrette quand même; et puis, s'en aller ainsi, à quinze ans, c'est trop tôt."
Quant à moi, j'ai honte de l'avouer... j'avais envie de rire.
Pourtant, je me disais:
"Il paraît bien que je suis morte, puisqu'on me pleure et me regrette; mais alors, où donc est le bon Dieu?... Pourquoi ce jugement annoncé de mon vivant ne commence-t-il pas?"
J'avais beau me répéter:
"Je ne suis plus qu'une âme; mon corps, ce petit corps mince, jadis si remuant d'Odette d'Héristel est maintenant immobile sur mon lit froid..." Je ne pouvais me faire à l'idée que j'avais quitté la terre.
Comment cela m'avait-il pris, de mourir? Je me le rappelais assez bien; j'étais occupée à trier de la musique tout contre le piano, avec Robert qui chantonnait les premières mesures des morceaux en les prenant de mes mains.
Tout à coup, il me dit:
-- Tu es pâle, Odette, est-ce que tu souffres?
-- Pas du tout, répliquai-je. Quelle idée! Je ne me suis jamais mieux portée.
Mais aussitôt, je sentis un grand trouble en moi; un malaise indéfinissable, comme celui qui précède la syncope.
Cela ne me faisait pas précisément mal, seulement un froid me gagnait les veines, en commençant par les extrémités; tout tournait sous mes yeux, et mes jambes devenaient molles.
J'entendis Robert qui s'écriait, plein d'angoisse:
"Mon Dieu!... Odette se trouve mal."
Et je le sentis qui me prenait dans ses bras, ses grands bras robustes où je me savais en sûreté.
Ensuite, il y a comme un voile sur mes souvenirs. J'ai dû demeurer évanouie tout à fait, quelque temps; la faculté d'entendre m'est revenue je ne sais trop quand, mais non celle de parler; ni de me mouvoir.