Les deux femmes du major - Claire de CHANDENEUX

Chapitre 1.

Quand le 206e  de ligne reçut l'ordre de venir tenir garnison à Douai, en 1862, il n'y eut qu'un cri dans le régiment pour déclarer vexatoire au premier chef la mesure ministérielle qui l'envoyait brusquement de la Provence en Flandre, du soleil dans le brouillard.

Il est vrai que si cette même mesure ministérielle avait dirigé le 206e  sur Rennes, par exemple, il se fût plaint de ce séjour pluvieux, ou sur Tarascon, il eût protesté contre le pays du mistral.

Ce qui revient à dire que, règle générale, le militaire déplore sa nouvelle garnison, quitte à la regretter chaudement quand vient l'heure d'en partir.

Cette fois, au moins, les récriminations d'usage s'apaisèrent vite, Douai, avec ses facultés, sa cour, son théâtre, offrant, après tout, d'importantes supériorités sur Grasse, la petite ville embaumée, où l'on venait de passer un an.

Les officiers garçons bouclèrent leurs valises et partirent allègrement. Traverser la France d'un bout à l'autre une fois de plus, la belle affaire ! Les jarrets de sous-lieutenant ont une merveilleuse souplesse, et les jarrets de capitaine regagnent en habitude ce qu'ils ont perdu en élasticité.

Les officiers mariés acceptent d'ordinaire avec de secrètes révoltes ces formidables déplacements écrasants pour la bourse et compliqués de séparations pénibles pour le coeur.

À la surface, une résignation souriante ; il ne faut pas laisser voir aux bons camarades que la femme, les enfants, la nourrice, les colis, sont parfois des charges bien lourdes.

Au fond, le ministre de la guerre, les bureaux et leurs suites sont envoyés « à tous les diables » et même plus loin.

Au 206e, un seul ménage fit exception à cette règle commune ; ce fut celui du major Jouanny.

***


Les deux femmes du major - Claire de CHANDENEUX

  TABLE DES MATIERES

Chapitre 1.
Chapitre 2.


{Editions altifagiennes}