Les filles du colonel - Claire de CHANDENEUX

Dans un salon jaune, obscur et fané, dépendant d'un appartement garni de la rue de Beaune, trois femmes étaient assises et causaient à demi-voix le 24 décembre 1864.

Le jour douteux, qui tombait difficilement des fenêtres à doubles rideaux, indiquait cette heure indécise, si prompte à venir en hiver, où le travail n'est plus possible, où la lecture fatigue déjà la vue, où la lumière d'une lampe n'est pas encore désirée.

La plus âgée des trois femmes, qui occupait l'angle droit de la cheminée, tisonnait de cette façon intermittente particulière aux gens nerveux et préoccupés.

La pince, dans ses mains, semblait, tour à tour, attaquer furieusement ou caresser avec distraction la bûche, qui répandait plus de fumée que de chaleur.

À l'angle opposé, une belle personne d'une vingtaine d'années, nonchalamment étendue dans un fauteuil, jouait avec les rubans flottants de sa ceinture.

Elle fixait dans le vide deux grands yeux bleus, assez semblables, sous leurs cils touffus, à des pervenches dans la mousse.

Une profusion de boucles blondes savamment déroulées encadraient son visage délicatement rosé et d'une suprême distinction.

Près d'elle une jeune fille brune, à la physionomie fraîche et avenante, était assise sur une petite chaise basse, et croisait ses mains mignonnes sur une tapisserie abandonnée.

Quatre heures sonnèrent au timbre fêlé de la pendule.

La conversation languissait. La pince restait immobile. La jeune fille brune étouffa même un léger bâillement.

Seule, la rêveuse du fauteuil, perdue dans une lointaine excursion au pays des chimères, ne manifesta ni lassitude, ni ennui, ni impatience.

La dame aux pincettes se renversa tout à coup sur son siège avec un geste découragé :

- Comme votre père tarde à rentrer ! dit-elle ; je crains qu'il n'ait rien appris de bon au ministère de la guerre.

La tête brune s'agita vivement.

- Ce serait une injustice criante ! déclara-t-elle.

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Les filles du colonel - Claire de CHANDENEUX

{Editions altifagiennes}