La relique - Amélie BOSQUET

Nous traversions la Seine dans une petite barque ; la pluie tombait, et le vent menaçait parfois de faire chavirer notre frêle embarcation. Je venais de visiter l'abbaye de Jumièges et j'étais pensive. Il en est des monuments détruits comme des amis que la mort nous a enlevés, et dont nous oublions les légers défauts, en conservant le souvenir de leurs vertus et de leur attachement.

En m'asseyant sur les ruines de l'antique abbaye, je ne m'étais point dit : des abus ont, sans doute, été commis dans cette retraite, qui devait être l'asile de l'austère piété; mais je redemandais à ces restes précieux le secret de cette foi puissante, qui offre un soutien dans toutes les épreuves de la vie, et garde une consolation pour toutes les douleurs.

Oh ! pourquoi, me disais-je alors, pourquoi ne suis-je pas née dans ces temps où le doute était presque une impossibilité ? Pourquoi ne puis-je pas encore prier dans ces lieux où tant de générations d'hommes ont prié tour à tour ; pleurer sur le marbre des autels qu'ils ont mouillé de leurs larmes ?

Mais mon imagination est une bonne fée dont la baguette magique se soumet facilement aux désirs de mon coeur. Je me laissai influencer par son prestige gracieux. Bientôt les voûtes écroulées se relevèrent ; l'enceinte se forma ; le peuple s'y pressait en foule, des nuages d'encens me voilaient à demi l'autel. Je voyais les blanches bannières flotter devant l'image sacrée du Christ, et j'entendais ces chants religieux dont fut bercée mon enfance et qui ont de si doux charmes pour mon coeur.

Les anciens jours se réveillaient pour moi. Les princes, les hauts et puissants barons, les belles et fières châtelaines, humiliaient leurs fronts orgueilleux devant ce Dieu qui doit les juger un jour comme le dernier de leurs serviteurs.

Plus loin, dans une posture plus humble encore, la douce et timide vassale, les mains croisées et le sourire sur les lèvres, appelait la bénédiction des cieux sur le toit paternel, tandis que la jeune épouse demandait à sa sainte patronne qu'un jour elle lui donnât, dans ses enfants, tout le bonheur dont elle faisait jouir son vieux père.

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La relique - Amélie BOSQUET

{Editions altifagiennes}