Le mauvais oeil - Ange BENIGNE

Quelqu'un qui a été bien occupé pendant son dernier congé, c'est le lieutenant d'Arcachon-Thémines. C'est que maintenant les semestres n'existent plus guère, les trimestres sont rares, les officiers ont tant à faire! Quand on a une permission d'un mois, c'est fort joli. Lorsque l'on est bien avec son colonel, on part un jour avant la date indiquée sur la permission, quelquefois deux jours auparavant : total, trente-trois jours.

Donc, si on n'avait, par une cour assidue, préparé quelques conquêtes, il faudrait vivre sur les anciennes. Mais le lieutenant d'Arcachon-Thémines, en chasseur diligent, avait préparé les voies dès l'année dernière. Il avait fort courtisé madame d'Epinevinette et le moment dit psychologique était arrivé. A peine à Paris, avant même de s'accorder le régal d'un bavardage avec les amis dans la salle du Sport ou du camp de Châlons, d'Arcachon-Thémines se présenta chez madame d'Epinevinette, à laquelle il explique qu'un homme qui n'a que trente-trois jours de permission doit être traité avec égard.

Madame d'Epinevinette le comprit si bien, que quelques jours après, elle était entre quatre et cinq heures en tête-à-tête avec d'Arcachon-Thémines, auquel un de ses amis avait prêté pour la circonstance l'appartement de garçon de son frère absent ; appartement modeste situé dans sa maison.

Madame d'Epinevinette but beaucoup de vin de Champagne - ce jour-là, sachant son faible, le lieutenant en avait apporté - mangea des biscuits, grignota quelques tranches d'ananas - baignées dans le vin de Champagne, les tranches d'ananas sont souveraines en pareil cas - et fut, il faut en convenir, d'un abandon charmant. Le lieutenant ne but pas de vin de Champagne, mais fut plein de verve et d'entrain. Il n'y a aucune exagération à dire que les heures s'envolèrent ; pourtant il fallait se séparer.

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Le mauvais oeil - Ange BENIGNE

{Editions altifagiennes}