Puisque vous voulez être informée de tout ce qui marrive et de tout ce que je remarque dans mon voyage, il faut vous résoudre, ma chère cousine, de lire bien des choses inutiles, pour en trouver quelques-unes qui vous plaisent. Vous avez le goût si bon et si délicat, que vous ne voudriez que des aventures choisies et des particularités agréables. Je voudrais bien aussi ne vous en point raconter dautres: mais quand on rapporte fidèlement les choses telles quelles se sont passées, il est difficile de les trouver toujours comme on les souhaite.
Je vous ai marqué par ma dernière lettre tout ce qui mest arrivé jusquà Bayonne. Vous savez que cest une ville de France, frontière du royaume dEspagne. Elle est arrosée par les rivières de lAdour et de la Nive qui se joignent ensemble, et la mer monte jusque-là; le port et le commerce y sont considérables. Jy vins de Dax par eau, et je remarquai que les bateliers de lAdour ont la même habitude que ceux de la Garonne; cest-à-dire, quen passant à côté les uns des autres, ils se chantent pouille, et ils aimeraient mieux nêtre point payés de leur voyage que de manquer à se faire ces sortes de huées, quoiquelles étonnent ceux qui ny sont pas accoutumés. Il y a deux châteaux assez forts pour bien défendre la ville, et lon y trouve en plusieurs endroits des promenades très-agréables.
Lorsque je fus arrivée, je priai le baron de Castelnau, qui mavait accompagnée depuis Dax, de me donner la connaissance de quelques jolies femmes avec lesquelles je pusse attendre sans impatience les litières quon devait menvoyer de Saint-Sébastien.
Il neut pas de peine à me satisfaire, parce que, étant homme de qualité et de mérite, on le considère fort à Bayonne; il ne manqua pas, dès le lendemain, de mamener plusieurs dames me rendre visite; cest la coutume, en ce pays, daller voir les dernières venues, lorsquon est informé quelles elles sont.