Mémoires 1833 - 1854 - Comtesse Marie d'AGOULT

Avant-propos.

... Dans le calque sincère d'une figure d'exception, qu'aurait-on à demander, si ce n'est la sincérité même ? Elle est ici entière. J'en puis faire foi ; et, si quelque chose y manque, c'est que, je ne sais par quelle faiblesse de mon coeur et de ma plume, je serais restée, en rappelant de très cruels souvenirs, très en deçà de la réalité, mais cette réalité est d'un temps si loin de nous déjà par les moeurs, bien qu'il en soit encore assez proche par les années, qu'elle court le risque de ne plus répondre à rien de ce qui est à cette heure vivant et vibrant. La jeunesse qui prend possession de la vie sous nos yeux, ne ressemble aucunement à celle qu'elle vient remplacer. Elle nourrit à son égard des préventions ; elle se tient en garde contre les excès qu'elle lui reproche ; dans la crainte d'en souffrir elle va, par réaction, à l'excès contraire. C'est la coutume en France. Aujourd'hui ne veut rien garder d'hier ; demain ne retiendra rien d'aujourd'hui. Et ainsi, nous allons, de contraste en contraste, et nous devenons souvent plus étrangers, du père au fils, plus opposés, même par les penchants, qu'on ne l'est ailleurs par la race ou par la distance des lieux.

Il sera donc nécessaire, si l'on veut comprendre les héros de cette histoire, de la replacer en esprit dans une époque dont le tempérament différait du nôtre en tout. On n'était pas alors, comme nous le sommes à cette heure, appliqué presque uniquement aux travaux de la science et de l'industrie qui poursuivent, sans aucun souci du monde invisible, de la vie future et de Dieu, un but très grand, mais palpable, humain et terrestre. On était, au contraire, tourmenté du désir de la vie idéale et l'on cherchait à toutes choses un sens divin. Sorti à peine de ces luttes formidables, où toutes les assises du monde ancien avaient été ébranlées, on en gardait le frémissement avec une attente anxieuse de l'inconnu, de l'extraordinaire, de l'impossible. Les autels et les trônes, empires, républiques, royautés renversés, puis relevés, les conflits qui se perpétuaient, avec des alternatives déconcertantes de succès et de revers, entre ceux qui prétendaient restaurer et ceux qui voulaient achever d'abattre les ruines du passé ; les ambitions surexcitées par le rapprochement illusoire des classes, refoulées par les préjugés, trompées par les jeux bizarres de la fortune ; toutes ces impulsions contraires, tous ces changements brusques dans l'aventure des peuples et des hommes emportaient la jeunesse à tous les vents du doute.

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Mémoires 1833 - 1854 - Comtesse Marie d'AGOULT

  TABLE DES MATIERES

Avant-propos.

Mémoires.
Troisième partie : La passion.
Avant-propos.
La passion : 1833-1839.

Journal.
Nohan 1837.
Côme 1837.
Milan 1838.
Venise 1838.

Mémoires (suite).
Épisode de Venise.

Journal (suite).
Gênes 1838.
Séjour à Lugano 1838.
Plaisance 1838.
Florence 1839.
Rome 1839.
Florence 1839.
Notes.

Mémoires.
Quatrième partie : Années incertaines. La vie littéraire (1840-1847).
Avant-propos.
Chapitre premier : Retour à Paris. Mes incertitudes. Suggestions et conseils. L'Abbé de Lamennais. Madame Sand. M. Émile de Girardin. Mes premiers essais littéraires. Nélida. Béranger.
La Maison Rose.

Mémoires.
Sixième partie : Mes respects et mes curiosités.
Mes dernières pensées.


{Editions altifagiennes}